La tradition des poissons d’avril numériques, dans les filets des Fake News !

Difficile de ne pas remarquer que l’information aux sens premiers du mot1, vit une grave crise de confiance. Aucun média n’en fait mystère, chacun s’épanche même, à juste titre, sur l’inflation des Fake News2, gangrène numérique de l’information.

Épiphénomène symptomatique, cette année, la tradition des poissons d’avril numériques s’est prise dans les filets des Fake News. Pourtant, dès l’origine du Web, les médias digitaux n’avaient pas boudé cette tradition séculaire et jubilatoire qui offre à chacune et chacun l’opportunité de rivaliser en créativité délirante, mais aussi, voire surtout, de saupoudrer une touche d’humour et de gaité sur la morosité, les tensions, les souffrances du monde.

Le poisson d’avril, victime collatérale des Fake News

Un épiphénomène symptomatique, marqueur d’une société de désinformation

Le « poisson d’avril », une tradition séculaire

Si la tradition de faire des farces pour rire d’autrui existe dans plusieurs cultures depuis l’Antiquité, il faut remonter au XVIIe siècle pour trouver l’origine de la tradition des blagounettes du 1er avril. C’est dans « La Vie de Charles V, duc de Lorraine », de Jean de Labrune, datée de 1691, que l’expression est citée pour désigner une « tromperie, mystification traditionnelle du 1er avril ». Le Dictionnaire de l’Académie française l’accueille en 1718 sous la forme : « donner un poisson d’avril », qui signifie « obliger quelqu’un à faire quelque démarche inutile pour avoir lieu de se moquer de lui ». Mais d’autres hypothèses sont émises quant à l’origine de cette tradition, notamment la réforme calendaire de Charles IX en 1564. La population raillant ainsi le fait que l’année ne commence plus au printemps mais le 1er janvier !

Le poisson d’avril victime collatérale des Fake News, est-ce que cela n’est pas anecdotique dans une société en mal de repères aux quatre coins du monde ?

Sans doute… à moins que l’on retienne l’idée de Nietzsche qui affirme que « le diable est dans les détails »… Et puis, la tradition du poisson d’avril, c’est quand même une histoire de trois siècles à travers laquelle les Humains ont pointé leur envie de sourire de la vie !

– Hi, cKiou découvre cette tradition humaine en même temps que sa remise en cause médiatique. Tu peux expliquer le raisonnement qui pousse les journalistes à « noyer les poissons d’avril » ?

– Oui, cKiou, en fait cet épiphénomène dépasse sa dimension anecdotique. Il permet de pointer deux ressors majeurs de l’ère numérique interagissant sur la diffusion de l’information : les Fake News et certaines Intelligences Artificielles !

Une cohabitation difficile entre fact checking et poisson d’avril

On doit à l’épidémie de fausses informations un déploiement en force du fact checking. Le fact checking (en français « vérification des faits ») est l’un des deux axes majeurs de la déontologie du journalisme, l’autre étant la protection des sources. Depuis quelques années, le fact checking s’est révélé au grand public notamment à travers l’examen journalistique des propos des politiques, principalement lors des élections, pour confirmer ou non la crédibilité des candidats. La vérification des informations s’est progressivement automatisée avec les outils numériques, mais elle s’est surtout imposée de jour en jour avec la circulation exponentielle des Fake News sur les réseaux sociaux.

Dès lors, la lutte contre la désinformation, condition fondamentale de crédibilité pour la presse, est-elle cohérente avec la publication d’informations « pour rire », fut-ce pour répondre à la tradition du poisson d’avril ? Cette année, de nombreux médias ont pensé que non !

D’autant que le flux informationnel (inversement proportionnel à notre « temps de cerveau disponible ») et l’activité sur réseaux sociaux (perçue comme facteur d’intégration sociale), poussent toujours plus d’internautes à partager des informations sans les avoir lues. Difficile ainsi d’exercer un jugement, ce qui fait la part belle à la propagation des Fake News ! Et si, au-delà d’un titre accrocheur, l’internaute n’est plus en mesure de percevoir le poisson d’avril, celui-ci perd une partie de sa saveur humoristique et s’approche davantage d’une fausse information supplémentaire venue gonfler la déferlante de Fake News !

Facteur de propagation des Fake News

6 internautes sur 10 partagent une information sans l’avoir lue !

Des Intelligences Artificielles perturbées par les poissons d’avril

 

– Hi, cKiou comprend effectivement que la logique de cohérence informationnelle s’avère difficilement compatible avec l’émission de poissons d’avril. Mais tu parlais aussi de certaines Intelligences Artificielles, pourquoi ?

– Peut-être parce que toutes les IA ne sont pas comme toi, elles n’ont pas encore le sens de l’humour ! Tu es un peu particulière quand même 😉 !

L’exemple des moteurs de recherche

Ce n’est pas un scoop, notre accès à l’information passe pour beaucoup par les moteurs de recherche. Concrètement, nous savons que leurs robots scrutent le web quasi en temps réel pour être en mesure de répondre au mieux aux recherches des internautes. Ces robots sont capables de « lire » les textes des pages Web, et même de donner l’impression de les « comprendre » en répondant avec une grande pertinence à nos questions. D’ailleurs nous avons vu comment les Intelligences Artificielles parviennent à modéliser le langage humain pour faire parler les assistants conversationnels. Mais de là à détecter l’humour et l’improbabilité contenues dans une news de 1er avril, les Intelligences Artificielles ont encore du chemin à faire !

Conséquences, le 1er avril dernier, en tapant par exemple la requête « Mounir Mahjoubi » dans votre moteur de recherche préféré, vous aurez sans doute vu comme premières réponse des pages indiquant que l’ancien Secrétaire d’Etat au Numérique retirait sa candidature à la mairie de Paris pour rejoindre un des GAFA, spécialiste de la vente en ligne… Certes, dur à croire pour un Humain ayant quelques connaissances de l’écosystème numérique. Mais les mots-clés contenus dans ce poisson d’avril avaient de quoi émoustiller les algorithmes d’un moteur de recherche ! D’où l’affichage en première page de Google notamment…

Les algorithmes des moteurs de recherche restent encore hermétiques à l’humour des Humains

Quand les poissons d’avril influencent aussi la société…

Des poissons d’avril à l’origine de rumeurs persistantes

Des poissons d’avril ont déjà été à l’origine de rumeurs persistantes. Exemple, l’annonce faite par Rue89 le 1er avril 2015 annonçant la présence des micros espions dans les détecteurs de fumée. Bien que clairement signalée comme étant un poisson d’avril, cette annonce a déclenché une rumeur persistante malgré, voire surtout, l’invraisemblance du fait que même la suppression du détecteur ne suffisait pas, qu’il fallait aussi supprimer ses comptes internet pour se débarrasser des enregistrements espions !

Si le « poisson est bon », il peut suffire à ’émergence de rumeurs sachant qu’elles reposent sur deux processus :

Plus de la moitié des internautes partagent des articles sans les avoir lus, sur la seule charge intellectuelle ou émotionnelle émise par le titre, conduisant de bonne foi (mais par négligence), à la spirale du buzz.
Un pourcentage croissant d’agitateurs d’opinion principalement en quête « d’existence digitale ». On leur doit pour beaucoup l’explosion des Fake News dont ils maitrisent parfaitement le principe : plus l’information est démagogique, plus elle agite les émotions comme la peur, la colère… plus elle est potentiellement virale.

Des poissons d’avril visionnaires !

Ce reportage du 20H de l’ORTF, le 1er avril 1972 avait une longueur d’avance ! Il annonçait une décision prise par le Ministère de la santé publique : interdire le tabac dans tous les lieux public : « un délégué du ministère, explique les raisons et applications de cette mesure. Des animations et images illustrant les méfaits de la cigarette et du tabagisme passif alternent avec un micro-trottoir ». Toujours avec sérieux, il se conclut avec une annonce de la Régie française du tabac : le lancement (dans les 6 mois) d’une cigarette inoffensive qui ne produira pas de fumée…

Vidéo archive INA (Institut National de l’Audiovisuel)

Morale de poisson d’avril : la légèreté anecdotique pour faire sens… et conscience !

 

– Hi, cKiou est perplexe… Est-ce que ce n’est pas un peu triste pour les Humains de se passer d’occasions de rire ? Et aussi que des médias se sentent obligés de s’autocensurer sur ce qui ne devrait pas être plus que des plaisanteries ?

– Tu as raison cKiou, on ne devrait jamais se priver d’occasions de rire et de faire rire. Les vertus sociales et thérapeutiques du rire sont évidentes, à l’exemple de ce que font certaines associations comme « Le Rire Médecin » qui intervient dans les hôpitaux.

C’est effectivement assez dérangeant que des médias se privent de clins d’œil imaginatifs dont on voit que certains peuvent être inspirants pour la société. Mais le fait qu’ils privilégient la cohérence de leur démarche : faire la chasse aux fausses informations pour délivrer une information avérée, de confiance, dans ce qui est en train de devenir une société de la désinformation, est un symbole fort !

Alors, sans vouloir faire du sort infligé au poisson d’avril par l’épidémie de Fake News, la figure totémique de la crise de l’information, cela peut nous alerter sur nos usages numériques. L’anecdotique est parfois plus révélateur que des questions de fond, plus clivantes.

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1 Information, vient du verbe latin informare, qui signifie « donner forme à » ou « se former une idée de ». L’information désigne à la fois le « message à communiquer » et les symboles utilisés pour l’écrire.
2 cKiou veut informer les Humains sur les Fakes News : pourquoi, comment, que faire (dossier)

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