Histoire et usages du QR Code

Une des stars médiatiques de la décennie, le Quick Response code

Si peu sexy soit-il, ce code-barres à deux dimensions lisibles par une machine vient de trouver une résonance qui lui a été offerte par le Covid-19. Or, même si l’on n’y pense pas spontanément, c’est un code (aujourd’hui numérique) qui s’inscrit dans une histoire très ancienne, aux origines plus marchandes que sanitaires.

Des racines préhistoriques

 

Tablette d’argile écrite avec un calame

On pourrait presque dater l’origine du QR Code à celle des signes écrits ! Plus précisément à partir du « calculi », sorte de jeton d’argile utilisé en Mésopotamie, quelques 3.000 ans avant la naissance de l’écriture. En effet, comme ce premier QR Code, ils servaient à désigner et quantifier des marchandises, mais via des encoches gravées avec un roseau taillé appelé calame ! Selon Clarisse Herrenschmidt, chercheuse, philologue et linguiste, la généalogie du numérique (par conséquent de ses outils et usages) s’explique souvent aussi du point de vue des signes écrits. D’ailleurs, une longue succession d’étapes retrace celle de l’écriture et de la cryptologie. Le QR Code en est une.

 

– Hi, cKiou n’aurait pas pensé que l’histoire de ce très médiatique QR Code (quand tu demandes à Google, il renvoie environ 825 000 000 réponses dans ses pages de résultats recherche) remonte aussi loin ! Tu crois vraiment que ce sont les calculis qui ont inspiré Masahiro Hara, l’ingénieur japonais qui l’a inventé ?

– Peut-être pas cKiou ! Mais l’Histoire n’est-elle pas un perpétuel recommencement comme le pensait l’historien grec Thucydide (460 av. J.-C) 😉 ?

Qu’est-ce qu’un QR Code ?

C’est un code-barres bidimensionnel qui stocke des données sous forme de caractères numériques (jusqu’à 7 089) et alphanumériques (jusqu’à 4 296). Et comme son nom l’indique, ce « Quick Response code » donne une « réponse rapide » (immédiate) à une situation ou question précise. Exemples : cette pièce détachée vient de l’entrepôt 36 ; comment rejoindre une page Web ; oui, cette personne peut prendre le train…

Avant d’arriver au QR Code…

Deux étapes technologiques de codage et de lecture des signes écrits.

L’idée de coder l’écriture est presque aussi ancienne que l’écriture elle-même. Les scribes s’amusaient déjà avec les mots, puis s’est fait ressentir le besoin d’abréger l’écriture (sténographie) ou de rendre des messages secrets (cryptographie). Sans retracer l’aventure de ces techniques, on peut repérer deux des étapes de codage et de lecture qui nous rapprochent de l’invention du QR Code.

1890, les cartes perforées

Ces cartes sont inventées par un ingénieur américain Herman Hollerith, en réponse à un appel d’offre du bureau américain du recensement. Elles vont servir pour la « machine à statistiques ». Cette machine utilise des cartes de 12cm × 6 cm sur lesquelles on compte 210 cases nécessaires pour recevoir les informations utiles. Les caractères alphanumériques y sont figurés par des perforations rectangulaires, disposées en 80 colonnes parallèles sur 12 lignes. Les coins coupés permettent de repérer le sens d’insertion des cartes dans le chargeur. Ces cartes sont le point de départ d’une époque héroïque, celle de la mécanographie, qui sera à l’origine de la création des premières « BigTechs » IBM et Bull. A titre d’exemple, en 1946, le célèbre ENIAC, premier calculateur (programmé par six femmes), lit ses données sur des cartes perforées.

1930 -1940 : le code-barres

Avant les étiquettes carrées du QR Code, un concept de code à lignes verticales a été développé au milieu des années trente. Deux étudiants américains, Norman Joseph Woodland et Bernard Silver, veulent automatiser l’enregistrement de produits. Ils ont alors l’idée de combiner les moyens électroacoustiques de sonorisation de films (permettant de convertir les ondes acoustiques en signaux électriques) et le code morse (alphabet international inventé en 1832 pour la télégraphie) qui permet de transmettre un message grâce à des séries d’impulsions courtes et longues. Concrètement, in fine, le code est balayé par une lumière qui traduit les barres verticales en informations.

Ils déposent le brevet de ce code-barres en 1952 et sa première utilisation a été l’étiquetage des wagons de train, sans grand succès commercial. Il ne sera utilisé de façon courante qu’à partir d’octobre 1970, lorsque George Laurer eut l’idée d’ajouter des chiffres sous les barres verticales pour identifier le produit. Le succès viendra de son utilisation dans les supermarchés. A partir du 3 avril 1973, il est utilisé pour identifier les produits de grande consommation, après une concertation entre grands industriels et distributeurs. 

Aujourd’hui, on n’imagine pas de produits sans code-barres. Le système s’est imposé par sa simplicité d’utilisation, son faible coût de production et le gain de temps, que ce soit pour le passage en caisse ou pour la gestion des stocks (suivi automatisé). Quant au premier produit doté d’un code-barres scanné à une caisse, ce fut un paquet de chewing-gum ! Il sera homologué en 1975 quand un comité européen entérine l’usage d’un code à 13 chiffres, la norme EAN 13 (European Article Number).

1994, Masahiro Hara invente le QR code

Mais l’étiquetage avec des codes-barres ne répond pas à tous les besoins. En effet, dans les usines de Toyota, un ingénieur japonais, Masahiro Hara, voit ses collègues de la logistique contraints de déchiffrer chaque jour des quantités de codes-barres apposés sur des pièces détachées. Les manipulations sont fastidieuses et l’encodage des données est limité par rapport au besoin. Il cherche alors une idée pour mieux tracer l’itinéraire des pièces détachées et pour améliorer la productivité de la logistique. Après avoir essayé vainement d’augmenter la capacité des lecteurs existants, il travaille à un code carré, bidimensionnel.

C’est en combinant l’encodage des kanji (signes issus des caractères chinois), des kanas (caractères de l’écriture japonaise) et des caractères alphanumériques, qu’en 1994, Masahiro Hara invente ce code bidimensionnel de stockage et lecture de données, qui va traiter au final 350 fois plus d’informations que le code-barres unidimensionnel.

Il est cependant confronté à différents problèmes, comme par exemple le temps que le lecteur met à fixer la position du code. L’idée lui vient alors d’ajouter des marques carrées dans trois coins du code, ce qui permet aux scanners d’en identifier beaucoup plus rapidement la position et d’en lire les informations dix fois plus vite qu’avec un code-barres. Le positionnement du marquage établi, il doit trouver un symbole encore jamais utilisé. Il scrute alors des milliers de signes et symboles utilisés dans le monde et finit par trouver un motif noir et blanc unique. Reste la question de corrections d’erreurs possibles à la lecture du code. Son collègue, l’informaticien Takayuki Nagaya, va trouver une formule pour coder cette correction d’erreurs, abaissant le risque à un millième. A noter qu’il ne déposeront pas de brevet pour cette invention, la laissant en open source.

En 2014, les deux Japonais reçoivent le Prix du public dans le cadre du Prix de l’inventeur européen, dans la catégorie non-européen.

Masahiro Hara et Takayuki Nagaya, inventeurs du QR Code – 2014

Les systèmes de lecture de codes-barres

Un code-barres, qu’il soit uni ou bidimensionnel, n’a d’intérêt que s’il est lisible facilement !

Avant de pouvoir présenter un QR Code à nos smartphones, aujourd’hui capables d’en faire l’interprétation en une seconde, différents types de lecteurs se sont succédé. Concrètement, le lecteur de codes-barres, relié à un ordinateur, lit et décode les informations présentées sous forme de barres d’épaisseurs différentes.

Les premiers lecteurs de codes-barres ont pris la forme de « crayons optiques ». Il fallait parcourir manuellement les lignes du code avec ce crayon, aussi régulièrement que possible. Pour balayer le code à vitesse régulière, commencer et finir au bon endroit tout en restant au contact de l’étiquette, un minimum d’expérience s’imposait. En effet, la qualité lecture, qui se faisait au contact, pouvait varier en fonction de l’inclinaison et même de la régularité du geste.

Vient ensuite le scanner CDD (charge coupled device). Il utilise quant à lui un faisceau laser pour scanner le code qui est renvoyé sur un capteur d’images. Il forme une ligne de lecture, qui lui permet de lire toute la rangée de pixels du code-barres. Le code est alors traduit en impulsion électrique, puis en langage binaire pour le périphérique auquel il est rattaché (caisse enregistreuse par exemple) et avec lequel il communique via Bluetooth.

Ce lecteur est suivi du lecteur laser capable de détecter les différentes largeurs du code. Il utilise un rayon laser lumineux généré par une diode laser qui donne l’impression d’un trait continu. Il permet une lecture des pixels, qu’elle soit rapprochée ou distante de plusieurs mètres, voire même une lecture sur des objets en mouvement. Cette technologie est toujours la plus utilisée pour la lecture des codes-barres.

Enfin, les smartphones peuvent lire les QR codes

Depuis l’invention du QR Code en 1994, son utilisation était restée peu importante pendant presque une décennie. Ce qui en a libéré l’usage, c’est l’arrivée du smartphone en 2002 (surtout à partir de l’iPhone d’Apple en 2007 qui en popularise l’usage à grande échelle). Dès lors, les smartphones disposent d’un appareil photo et s’équipent alors progressivement de la technologie permettant de scanner le code bidimensionnel.

Aujourd’hui, la plupart est capable de lire nativement (sans appli intermédiaire) l’étiquette carrée lorsqu’elle se présente dans le cadre de l’appareil photo. Le scanner détecte qu’il a affaire à un QR code et affiche instantanément l’information qu’il décode. Une des premières utilisations qui aura les faveurs du grand-public, c’est notamment de permettre l’accès à un site web sans avoir à en saisir l’URL.

On voit assez vite apparaitre des services en ligne gratuits permettant de générer des QR codes très facilement. On peut choisir le contenu de l’information (URL, message, profil de réseau social…), le niveau de sécurité, la taille, la couleur du code que l’on souhaite générer.

Quelques usages inattendus (ou pas) du QR Code

– Hi, cKiou a bien vu que le QR Code ne sert pas que pour le « pass sanitaire ». Arrête-moi si je me trompe, mais il est devenu tellement facile de créer le code et de le lire qu’on le voit de plus en plus souvent. Par exemple, de plus en plus d’émissions de télé invitent les Humains à scanner un code pour aller poser des questions sur des sujets qui les préoccupent.

– Non cKiou, tu ne te trompes pas, sa simplicité d’usage offre à cette technologie de nombreuses applications comme celle que tu évoques. Flasher le code et se retrouver directement au bon endroit sur un site, sans la moindre recherche ou saisie d’URL, est un réflexe qui a commencé à se développer d’abord au Japon et en Corée, avant de s’étendre très vite aux États-Unis puis à l’Europe.

Usages grand-public

Concrètement, le grand-public a vu apparaitre ces images carrées (à l’esthétique géométrique à première vue impénétrable) dans sa vie quotidienne et sur de nombreux supports. On le retrouve sur des emballages de produits, des magazines, des affiches, même sur des T-Shirts de supporters sportifs par exemple… Une fois scanné, il donne accès à des informations complémentaires sur un produit, une exposition, l’histoire d’un monument ou d’un site touristique, des promotions, des notices techniques, des horaires de trains, etc. Il n’est pas rare non plus de trouver un code à scanner au dos d’un livre, permettant de renvoyer le lecteur sur une page d’informations concernant l’auteur, ou de faciliter le travail des bibliothécaires en informant sur les données d’édition de l’ouvrage.

Usages logistiques (robots et composants électroniques…)

 

Ces usages courants ne sont pas les seuls. Nés dans le secteur logistique, ils foisonnent toujours dans ce domaine. Cela va du stockage, de l’emballage, à l’expédition en passant par le suivi, la gestion des commandes et/ou des promotions… Mais aussi pour des usages à première vue plus improbables, comme « sous les pieds » des robots logistiques de quelques entrepôts d’Amazon. En effet, des bandes de guidage équipées de QR Codes sont collées au sol, permettant aux robots de se repérer pour se déplacer de façon autonome, jusqu’à une vitesse autour de 5km/h.

On commence aussi à découvrir ces marquages au cœur-même de certains appareils comme des smartphones, tablettes, ordinateurs… apposés sur différents composants électroniques pour en permettre la traçabilité, l’échange et même pointer vers des tutos facilitant leur remplacement. Ce système contribue à donner un indice de réparabilité des appareils, permettant de lutter contre l’obsolescence programmée. Principe d’autant plus intéressant dans le contexte actuel de pénurie de ces composants.

Les étiquettes carrées peuvent aussi assurer la traçabilité sanitaire des produits dans la filière alimentaire, les vins, les champagnes… les labels type AOC, AOP.

Usages culturels (art numérique)

 

Les musées ou les lieux culturels utilisent de plus en plus les QR Codes pour permettre aux visiteurs d’accéder à des informations ou commentaires sur les œuvres qu’ils présentent, en pointant vers une page dédiée. D’autres usages sont par contre plus inattendus.

Par exemple, un artiste français de Street Art (par définition éphémère, parce que souvent effacé ou tagué) appose un QR Code au bas de ses œuvres. Objectifs : d’une part, pouvoir les monétiser et de l’autre, leur donner une seconde vie sous forme « d’Art numérique ». Il a notamment réalisé des fresques murales, digitalisées via la technologie d’authentification NFT (non-fungible token) utilisant la blockchain (comme les cryptomonnaies) ce qui en valide l’authenticité et permet au public de les acheter. D’ailleurs, l’Art numérique arrive également dans les Galeries. En mars dernier Christie’s a présenté une œuvre qui a atteint un prix record (69,3 millions de $) lors d’une vente aux enchères suivie par 22 millions d’internautes.

QR Code et cybersécurité

– Hi, cKiou voit passer de plus en plus d’infos sur les problèmes de cybersécurité en général. Les QR Codes ont l’air bien tranquille dans leurs petites étiquettes carrées ! Mais est-ce qu’ils peuvent aussi représenter des menaces pour les personnes qui les flashent ?

– Hé oui, cKiou, comme toute technologie qui génère de multiples usages numériques, les QR Codes sont aussi devenus des outils et supports privilégiés pour les cybercriminels. Ils peuvent intégrer des codes malveillants permettant de récupérer des données personnelles en infiltrant le smartphone, ou de renvoyer vers de faux sites d’institutions ou de marques avec le même objectif.

Leur facilité de création est un avantage pour les cybercriminels et un risque équivalent pour les utilisateurs. Il faut donc être vigilant et ne scanner le code que lorsque l’on est sûr de sa provenance.

Par exemple, il faut éviter de scanner un QR Code sur des supports tels que prospectus, affichettes ou cartons posés dans des lieux publics.

D’une manière générale, la cybercriminalité devient exponentielle. On sait par exemple, que le phishing (hameçonnage) ou la création de sites frauduleux (estimée à une centaine en moyenne par jour) sont deux de ses piliers les plus « porteurs ».

L’hameçonnage consiste en l’envoi de mails se faisant passer pour des organismes ou entreprises et incitant à se rendre, sur de faux prétextes, vers des sites malveillants. L’objectif est de récupérer des informations personnelles (usurpation d’identité, récupération d’identifiants…). Donc, trouver un QR code dans un mail peut être une forme d’hameçonnage.

En tout état de cause, il est essentiel d’avoir le réflexe de vérifier l’URL du site vers lequel le code nous a dirigés avant d’interagir avec son contenu.

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