Louis Pouzin, grâce à qui Internet aurait pu être français !
En 1973, Louis Pouzin pose les bases d’un Internet français. Après avoir élaboré le concept de datagramme, il le développe au sein d’un réseau baptisé Cyclades qui a failli devenir l’Internet. Même si, pour des raisons politiques, Cyclades n’a pas été retenu pour tisser la toile digitale du monde, Louis Pouzin mérite de figurer parmi les grands noms de l’Histoire du numérique.
Né en avril 1931, cet ingénieur en informatique s’intéresse aux calculateurs. En 1957, il postule chez Bull : « C’était l’époque héroïque, l’époque des cartes perforées ! ». C’est là qu’il entend parler des premiers pas de l’ordinateur et de l’informatique, ce qui le décide à rejoindre le MIT pour apprendre l’anglais et parfaire sa culture informatique. Il va travailler sur le développement de programmes dans le cadre d’un projet de gestion en temps partagé (Time Sharing).
Louis Pouzin, grâce à qui Internet aurait pu être français
Pour ce futur système, il travaille sur des programmes de traitement par lot de paquets de cartes. A son retour en France, il conçoit pour Météo-France un système d’exploitation permettant de travailler en Temps partagé. Puis en 1971, il intègre l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, institut né IRIA en 1967). Ce recrutement se fait dans le cadre du « Plan Calcul » lancé en 1966 par le Général de Gaulle, suite à la décision politique de doter la France d’un réseau, à l’instar de l’ARPANET (initié par la DARPA, Agence du département de la Défense des États-Unis, en charge de la R&D des nouvelles technologies à usage militaire).
A l’INRIA, Louis Pouzin travaille sur un projet baptisé « Cyclades », lancé fin 1971 par la Délégation à l’Informatique. L’un des objectifs de ce projet est d’aider les chercheurs à travailler à distance et susciter de nouveaux axes de recherche. C’est là qu’il se penche sur le « datagramme »…
Vous avez dit Datagramme ?
Aujourd’hui, nous savons tous (ou presque 😉 ) que l’informatique véhicule des données. Mais la notion de datagramme nous reste généralement encore assez obscure !
Un datagramme est un paquet de données transmis avec ses adresses de source et de destination par un réseau étendu de télécommunications (WAN), ou encore un réseau informatique local (LAN). La transmission par paquets de données informatiques sert, par exemple, dans le formatage de fichiers, de compression d’archives ou d’encapsulation de vidéos.
Le datagramme est un principe qui a été publié pour la première fois en 1964, mais ne sera pas utilisé en réseau. A l’époque on parlait de « blocs », pas encore de « paquets ». Puis en 1967, Donald Davies publie à son tour un article décrivant une idée de « futur réseau de transmission de données géré par un opérateur de télécommunications », dans lequel il mentionne le packet switching (commutation de paquets).
Cyclades, sur les traces de l’ARPANET
Dans le cadre du projet de réseau Cyclades, Louis Pouzin décide d’adapter pour la première fois in situ le concept de datagramme : la machine émettrice transmet des paquets de données encapsulées (rapidité de l’envoi), qui seront désencapsulées par la machine réceptrice, de sorte qu’à l’arrivée elles soient identiques à celles de l’envoi. Cyclades sera donc le premier réseau à expérimenter ces protocoles sophistiqués.
Concrètement, le projet expérimental Cyclades a pour objectif de créer un réseau d’ordinateurs tel que le réseau américain ARPANET initié en 1966 par la DARPA et concrétisé en 1969. En matérialisant le datagramme pour ce projet, Louis Pouzin corrige quelques « aspects insuffisamment pratiques d’Arpanet »
Ainsi, en septembre 1973, Cyclades devient l’ancêtre français d’Internet. Oui, mais… l’Internet français ne verra pas le jour !
Cyclades est donc le premier grand réseau permettant de communiquer des paquets de données adressés, n’ayant pas besoin d’être transmis groupés. Chaque paquet peut emprunter librement la ligne la moins encombrée et ils ne se regroupent qu’en arrivant à destination. Ce concept est l’une des bases de l’Internet que nous connaissons.
Pourquoi est-ce ARPANET (et pas Cyclades) qui est devenu Internet ?
Le réseau que Louis Pouzin voulait appeler « Mitranet » (en référence à l’ordinateur Mitra 15 de la CII « Compagnie Internationale pour l’Informatique » qui en était le cœur) devient opérationnel en 1975. Il relie 25 ordinateurs de laboratoires basés en France, à Londres et à Rome.
Pourtant, en 1978, ce projet français n’est retenu ni par le gouvernement, ni par les télécoms, et Cyclades sera débranché. Par contre, le concept est adopté par les Américains qui vont l’utiliser pour développer Internet. En France, les efforts se porteront vers Transpac, qui deviendra le Minitel.
Cyclades abandonné, Louis Pouzin reste à l’INRIA jusqu’en 1980. Il y dirige des projets pilotes comme le projet de robotique Spartacus.
L’abandon du réseau Cyclades : les explications de Louis Pouzin
Interview de Jérôme Colombain pour FranceInfo
Le principe du datagramme appliqué à Internet
Animation créée par Eurolinc pour expliquer l’importance du datagramme et expliquer son fonctionnement
Ce que l’Internet doit à Louis Pouzin
Les travaux de Louis Pouzin ont contribué à poser la base technologique de l’internet d’aujourd’hui. En effet, nous l’avons vu, le concept de datagramme permet de faire transiter les données dans un ordre différent de celui de leur émission. Certains des ingénieurs ayant participé au projet Cyclades, ont collaboré avec Vint Cerf à la conception, selon ce principe, des deux protocoles majeurs de l’Internet. Pour faire simple, disons que ce concept est à l’origine du protocole TCP/IP, le standard de communication inhérent à l’émission et à la réception des données du réseau Internet. TCP/IP pour Transmission Control Protocol/Internet Protocol, et IP étant l’adressage (exemple adresse IP d’un ordinateur).
Le premier standard de datagramme d’Internet est l’IPv4, il a été publié en 1980. Il constitue encore actuellement la base de la majorité des communications sur Internet.
Louis Pouzin après Cyclades
Homme de réseau, Louis Pouzin rejoint ensuite le CNET (Centre national d’études des télécommunications), puis à partir de 1989, il enseigne dans une école internationale de management (Theseus) créée par France Telecom à Sophia Antipolis, la première technopole de France et d’Europe.
En 2000, Louis Pouzin participe à la préparation du premier Sommet mondial de la société de l’information (SMSI), forum mondial organisé par l’Union internationale des télécommunications.
Il s’engage également au sein de l’association Eurolinc qui souhaite que les noms de domaines d’Internet puissent être en langue native puis il crée le NLIC (Native language internet consortium).
Quelques récompenses
– En 2001, Louis Pouzin reçoit le prix IEEE Internet pour le datagramme.
– En 2013, il reçoit des mains de la Reine Elisabeth, le premier « Queen Elizabeth Prize for Engineering » pour sa contribution majeure à la création et au développement d’internet. Ce prix, équivalent du Prix Nobel dans le domaine de l’ingénierie, récompense les personnes dont l’innovation a profité à l’humanité.
– En 2015, les Lovie Awards le récompensent pour l’ensemble de sa carrière : « Par la sobriété de cette invention et la simplicité de sa résolution du transfert des paquets de données il a posé la pierre de base la plus importante dans la création d’internet ».
– En 2016, il reçoit en Arménie le prix de l’homme numérique de l’année.
2021, Louis Pouzin défend une autre vision d’Internet
Aujourd’hui, celui qui a posé l’une des bases essentielles d’Internet ne se retrouve plus dans l’idée fondatrice du réseau des réseaux. En effet, cinquante ans plus loin, ce qui devait servir à un partage universel de l’information, sans hiérarchie ni discrimination, est entre les mains de géants de la tech (aux Etats-Unis et en Chine) qui en ont fait un business colossal.
Il milite donc pour une architecture nouvelle de l’Internet reprenant le strict principe de datagramme. Cette architecture, reposant sur six ou sept commandes simples, a été proposée en 2008 par John Day, co-concepteur d’Arpanet. Baptisée Rina (Recursive InterNetwork Architecture), cette architecture nouvelle a quitté le stade expérimental en 2018 et occupe désormais près de 400 chercheurs en Europe. L’Arménie est le premier pays à l’utiliser. Le mérite de cette architecture est d’anticiper les problèmes techniques dus aux protocoles TCP/IP qui n’avaient pas été conçus pour supporter la multiplication exponentielle d’applications développées depuis les années 70.
Le regard de cKiou
– Hi, cKiou a été surprise de découvrir que l’origine de la méga toile numérique du monde aurait pu être française ! C’est bien de rendre à César, heu… à Louis Pouzin le mérite qui lui revient pour avoir « posé cette première pierre » essentielle à la création d’Internet.
Et puis avec la découverte du datagramme, c’est cool de percer les secrets de transmission des paquets de données. Décidément les coulisses du numérique sont pleines de surprises !
cKiou comprend aussi que Louis Pouzin ait envie d’un nouvel Internet, plus conforme à l’idéal originel du réseau qu’il a contribué à faire naitre. Si cette nouvelle architecture voyait le jour en Europe, ce serait une belle revanche pour celui qui a vu le Minitel lui griller la politesse !
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Et pour ne pas manquer la suite de l’Histoire du numérique…
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Jusque là, tout est vrai
Bonjour Monsieur Pouzin, je suis heureux d’avoir pu suivre ce fabuleux documentaire sur la naissance de votre histoire avec le numérique, documentaire que je viens de découvrir ce jour sur FR3, et j’ai la même vision que vous sur l’utilisation d’internet en restant très modeste par rapport à votre savoir en la matière, j’aimerais tellement vous entendre encore et encore.
Merci pour votre rappel quant à l’utilisation de ces réseaux et le business qui en découle, et comme vous l’avez si bien dit, QUI PEUT ARRÊTER CETTE ESCALADE DE MANIPULATION DE NOTRE HUMANITÉ . J’ai vraiment peur de l’avenir.
Moi aussi je suis nivernais, né à DECIZE et demeurant à AVRIL SUR LOIRE.
Cordialement
Monsieur, je viens de vous connaître par un documentaire sur la 3 à l’instant et je tenais à vous féliciter pour votre travail sur « internet » Vous pouvez être fier. Je tenais sincèrement à vous le dire madame CHAVRIER