Le défi majeur des entreprises : réussir leur transformation numérique : oui, mais comment ?

Les #1000et1mots de cKiou, Saison 2, Episode 16

Certains disent que toute entreprise qui n’a pas engagé sa transformation numérique est virtuellement condamnée. C’est peut-être juste (ou pas…), mais ce qui est sûr, c’est d’une part qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et d’autre part, que tout processus de transformation n’est jamais inscrit dans le marbre… il doit s’adapter en temps réel au contexte du monde numérique qui évolue sans préavis !

Marie-Odile Charaudeau poursuit ses explications pour aider les entreprises dans cet exercice acrobatique qui s’apparente à « changer une roue sur un voiture qui poursuit sa route » ! Pour mémoire, Marie-Odile exerce en tant que Conseil en stratégie digitale et transformation numérique. Elle est aussi conférencière, Vice-présidente de l’Alliance Big Data. Elle a commencé à briefer cKiou sur les opportunités du monde numérique pour les entreprises.

– Hi, Marie-Odile, cKiou a hâte de poursuivre avec toi le parcours de l’entreprise qui opère sa mutation digitale. Après la rupture avec l’existant, une vision à long terme, comment les entreprises peuvent-elles s’inspirer des géants de la tech, de leur réussite ?

– Bravo cKiou, je vois que tu n’as rien perdu de ta motivation !

Sommaire

Le client, pilier du modèle des géants de la tech

Marie-Odile Charaudeau

La particularité des GAFA est d’être « obsédés par le Client ». La révolution GAFA est d’avoir su placer le client – et non le produit – au cœur du modèle économique. Leur stratégie est simple : ils veulent bien faire et faire mieux. Leurs fondateurs ne se sont pas levés un matin en se disant « tiens, comment pourrions-nous exterminer les acteurs historiques de nos marchés respectifs ? ». Mais ils se sont demandé : comment rendre le meilleur service ? Comment simplifier la vie de nos clients ?

En effet, l’un des impacts les plus conséquents de la révolution digitale pour les entreprises, c’est le pouvoir incroyable qu’elle donne à leurs clients. En effet, avec le digital, ils peuvent comparer les prix, partager des bons plans, s’informer sur les produits et partager leurs biens et services. Aussi, la transformation digitale n’est-elle pas une fin en soi ! Plutôt que « transformation digitale », il faudrait parler de « transformation client ».

Les géants de la tech n’agissent pas comme les entreprises traditionnelles

 

Pour se démarquer, ils ont adopté des règles fondamentalement différentes. Les entreprises sont habituellement organisées autour du produit : vendre toujours plus, cycle d’innovation incrémentale, calcul de la marge… Mais dans l’environnement de marché actuel, ce système n’est plus tenable, car l’offre est saturée et les demandes des clients évoluent constamment. La valeur n’est plus dans le produit, mais dans ce que l’on en fait et comment on le fait. Avec le numérique, on dématérialise les choses, les produits comme les services, et il faut pouvoir faire en sorte que l’utilisateur les comprenne, puisse les appréhender.

Pour les géants de la tech, une entreprise n’a pas vocation à proposer des produits ou des services, mais à proposer des solutions à ses clients. « On ne vend plus un aspirateur, on vend l’expérience du nettoyage de sa maison ». Il faut penser Expérience et Utilisateur et non plus Produit. Même s’il se dégage des marges substantielles sur l’ensemble de ses produits technologiques, Apple ne propose pas un produit à ses clients, mais une expérience Apple. C’est là l’enjeu de la nouvelle vision centrée sur le client ou utilisateur des produits et services : comprendre ses clients et leur proposer une solution, plutôt que de créer des produits et services censés correspondre à des profils clients projetés ou fantasmés à partir de cibles marketing.

– Hi, cKiou aimerait comprendre comment on fait pour « penser expérience client » parce que ça a l’air vraiment important ?

Les géants de la tech s’adressent à la fois au cœur et à l’esprit du consommateur !

– Oui, cKiou, dans ce nouveau monde, l’expérience client est un enjeu vital pour les entreprises et elles doivent l’intégrer dans leur organisation. C’est un facteur de différenciation concurrentielle. Les entreprises doivent supprimer les points de friction dans les parcours clients, les rendre simples et fluides. Comme les géants de la tech, elles doivent s’adresser à la fois au cœur et à l’esprit du consommateur. Fournir tout ce à quoi le client s’attend… tout en le surprenant avec de l’inattendu. Le consommateur veut aujourd’hui de l’autonomie et de l’enchantement ! Bref, un « effet wow » ! Les émotions déclenchent 80% de nos décisions d’achat.

Une autre particularité des géants de la tech est que pour eux, le client n’est pas seulement celui qui paye ! Bien au contraire ! C’est d’abord l’attention qu’une personne prête à leurs services qui fait d’elle un client. Avant même de payer un service ou un produit, même sans rien acheter. Avec ce type d’approche, la personnalisation de la relation client est un enjeu clé. Elle permet de transformer en engagement cette attention qui leur est portée, puis cet engagement en revenu. Aujourd’hui, les géants de la tech comme Google, Facebook ou Amazon sont en mesure de dresser un portrait détaillé de leurs clients. Grâce aux données collectées, ces grandes entreprises classent les consommateurs par groupes spécifiques et proposent aux consommateurs des offres et services personnalisés.

– Hi, cKiou a aussi entendu parler de « course à l’innovation », est-ce que c’est toujours dans les gènes des géants de la tech malgré leur réussite ?.

L’impulsion d’une dynamique d’innovation… les géants de la tech ne jurent que par l’innovation !

– Oui, cKiou, l’innovation reste dans l’ADN des GAFAs et autres BATX. Ils ont dopé les méthodes agiles, les tests A/B (tests en temps réel de la valeur d’une innovation auprès de l’utilisateur). Ils n’hésitent pas à arrêter un produit pour mieux en relancer un autre. Mais ils ont aussi mis en place un terreau idéal pour que l’innovation fertilise. Avec un pourcentage d’ingénieurs entre 20 et 40% de l’effectif.

Le « design thinking »…

Ce sont les GAFA qui ont démocratisé le principe du « design thinking », philosophie d’entreprise qui consiste à penser son offre en partant de l’expérience client. Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, pense que : « Ce n’est pas aux clients d’inventer des produits pour eux-mêmes. Vous devez les écouter, mais ils ne vous diront pas tout. Donc vous devez inventer à leur place. Le Kindle, EC2 (le cloud à la demande d’Amazon lancé 3 ans avant), …ne seraient jamais là si nous n’avions pas une culture inventive ». Il s’agit de démarrer la réflexion entrepreneuriale par l’analyse des modes de vie, de consommation, des envies d’une population donnée pour réussir à inventer une offre de produits/services sur-mesure ; puis d’innover si cela est nécessaire à l’obtention du résultat escompté.

L’innovation c’est aussi l’amélioration

Il ne faut pas réduire l’innovation uniquement à une rupture technologique. La logique d’innovation est soluble dans l’ensemble des départements de l’entreprise, car la recherche de l’optimisation et de l’amélioration concerne autant la R&D que la communication, le marketing, la relation client, et tous ces fameux silos auxquels le numérique permet de créer des synergies. Nous sommes en train de passer d’une approche très orientée « produit » à une vision globale de la fonction innovation pour l’entreprise, au service du business. Concevoir un nouveau produit ou service en utilisant des technologies existantes ou inventer un nouveau modèle d’affaires ou d’organisation peuvent pleinement prétendre au titre d’innovation. Une attitude qui doit être intimement liée à l’analyse de l’expérience consommateur et des insatisfactions clients.

Le piège des compétences

Ne pas innover pour les acteurs « historiques » du marché, c’est prendre aussi le risque d’être concurrencé, disrupté, par de nouveaux acteurs arrivant sur le marché. Le cas d’école le plus souvent cité est celui de Kodak et de son échec du virage de la photo numérique. Celle-ci avait bien été inventée dans leurs laboratoires de recherche en 1975 mais le management de la société avait traîné des pieds pour en tirer parti commercialement. Autre exemple plus récent : Xerox. L’entreprise américaine vient d’annoncer qu’après 115 ans en tant qu’entreprise indépendante, elle combinerait ses activités avec Fujifilm Holdings du Japon. Pourtant, en 1959, ses photocopieurs étaient considérés comme de la haute technologie ; ses écoles de vente ont été longtemps un modèle. Ces deux entreprises, comme beaucoup d’autres, n’ont pas su s’extraire de la routine et de la gestion au quotidien de l’optimisation d’un business existant. Elles ont été incapables de comprendre les mouvements du marché et n’ont pas su se remettre en cause. Les experts en gestion appellent ce type de situation « le piège des compétences » !

Comment augmenter sa part de marché ou ses revenus quand on est déjà à bloc ?

C’est la question sur laquelle planchent en ce moment les géants du numérique. Cette recherche des profits futurs conduit les GAFAM à s’affronter sur le terrain des assistants personnels, un marché très récent, mais avec un énorme potentiel disruptif. La dernière édition du CES de Las Vegas a d’ailleurs été la parfaite illustration de cet affrontement entre Google, Amazon, Facebook et Microsoft. Le rythme d’innovation est tel que même les géants américains du net doivent se renouveler sans cesse… y compris face aux BATX chinois [Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Finalement, personne n’est complètement certain de son avenir et tout le monde doit innover.

– Hi, cKiou a aussi appris que le travail était une question très importante pour les Humains. Est-ce que les GAFA ont une stratégie particulière en matière de « ressources humaines » ?

L’Organisation et les Hommes, quel est le modèle des géants de la tech ?

– Bien sûr, cKiou ! Les géants de la tech ont développé des modèles pour le recrutement, le suivi de carrière, etc. Hiérarchie aplatie, réunions rapides et efficaces, démonstration de l’intérêt d’un futur produit par la preuve (plutôt qu’une présentation d’idée, on montre un prototype)… sont aussi au programme. Leurs embauches ne se font pas sur CV. Ils ne cherchent pas des experts, mais des personnalités autonomes, innovantes, capables de prouver leurs capacités au cours d’un hackaton par exemple. Les GAFA veulent des gens indépendants et intra-entrepreneurs. Du coup, leurs modes de décision sont très particuliers. Chez Amazon, Jeff Bezos a inventé la règle des deux pizzas : si, pendant une réunion, les deux pizzas ne sont pas suffisantes pour nourrir tous les participants, c’est qu’il y a trop de participants !

Quand vous êtes embauché chez Google ou Facebook, vous ne rejoignez pas une entreprise mais une famille. C’est le capital sympathie global de la marque et de ses leaders qui fait que l’on rejoint ces entreprises qui ne fournissent pas seulement un emploi et un salaire, mais aussi la salle de sport, la nourriture gratuitement… et même le temps libre. Le constat est que ces GAFA font partie des entreprises où il fait le mieux vivre et travailler.

Devenir une entreprise digitale est aussi une question de mentalité !

Une large majorité des organisations travaillent encore exactement comme il y a 20 ans. Les organigrammes sont pyramidaux et les agendas sont surchargés de réunions longues. Il faut souvent 3 mois pour obtenir une décision ou des budgets même sur un projet stratégique, ou bien encore attendre l’exercice budgétaire de l’année suivante. Devenir une « entreprise digitale » demande surtout une évolution des mentalités et une vraie volonté de changer afin de s’adapter à un environnement en constante mutation.

Le collaborateur a, dans les premiers temps, été le parent pauvre de la transformation digitale. Mais le collaborateur est de plus en plus perçu comme un levier de transformation, un levier d’exécution de l’entreprise digitalisée. La transformation digitale demande la coexistence de deux modèles dans l’entreprise. L’un vise à optimiser et sécuriser le business actuel, l’autre à explorer des territoires nouveaux.

Dans la conjoncture économique actuelle, les organisations ont plutôt tendance à pratiquer des stratégies de repli, c’est à dire à faire « le dos rond » en se focalisant essentiellement sur leurs missions initiales et le niveau des coûts. Elles ont souvent réalisé des efforts considérables sur la réduction des frais et charges et l’optimisation de leur organisation au travers d’une gestion du court terme. Pendant cette période de mutation, les organisations ont souffert, mais celles qui s’en sortent le mieux sont celles qui n’ont pas renoncé à une stratégie de croissance.

Personne n’est épargné par la déferlante du numérique

Nombre d’entreprises (y compris de grande taille) qui se croyaient à l’abri de toute rupture, dans un business-model apparemment linéaire et stable, ou qui se muraient dans des rentes de situation prétendument éternelles, ont brusquement découvert les périls qui les guettent faute d’adaptation. Les PME n’échapperont pas à ces phénomènes qui impactent déjà et ont commencé de refaçonner profondément l’économie et les marchés.

La dernière étude du Lab de BpiFrance affirme que « une entreprise sur cinq est condamnée à disparaître d’ici trois ans si elle ne fait rien pour se mettre à l’ère du numérique » !

Seules 27 % des PME et ETI déclarent s’être « fortement ou très fortement » engagées dans des actions pour leur adaptation au numérique, près du tiers n’a toujours rien fait en la matière et 87 % des dirigeants français ne voient pas de priorité stratégique au numérique.

– Hi, les algorithmes de cKiou trouvent ce ratio très irrationnel ! Le rapport aux risques semble vraiment mal perçu, même si on comprend bien que ce n’est pas une démarche facile à envisager pour les dirigeants… Et pourtant, si cKiou a bien compris, ce n’est qu’un début !

Un monde nativement numérique… une révolution qui ne fait que commencer !

– Tes algorithmes et toi, cKiou, vous avez bien compris ! Nous sommes effectivement en train de basculer d’un monde où nous œuvrions à la transformation numérique par petites touches, à un monde « nativement » numérique. Comme le dit Benoît Thieulin (Open) : « Il n’y a plus une stratégie digitale, mais une stratégie dans un monde digital ». Dans 20 ans, le monde ne ressemblera absolument plus à ce que nous connaissons aujourd’hui. Il faut que chacun réalise que la révolution numérique ne fait que commencer. Nous en avons vu à peine 10 %. C’est un phénomène profond, d’une brutalité inédite, similaire à l’arrivée de l’électricité, c’est-à-dire au passage de la première révolution industrielle à la seconde. Comme le numérique aujourd’hui, l’électricité avait bouleversé tous les secteurs, créé de nouvelles méthodes pour communiquer et travailler. Beaucoup aimeraient croire que la numérisation de la société et de l’économie est une transformation douce, une continuité. En réalité, c’est une rupture. Or, les entreprises traditionnelles n’ont toujours qu’une vague compréhension des bouleversements qu’elles vont devoir amorcer pour rester compétitives.

Que sera l’économie dans 20 ans ? Arrêtez l’histoire, je veux descendre… ou pas !

La grande inconnue, c’est ce que sera l’économie dans 20 ans ! Comment évolueront les géants de la tech ? Seront-ils omnipotents, sans contre-pouvoir, sans cadre éthique, plus puissants que des Etats, seuls à posséder et maîtriser les bases des infrastructures du XXIe siècle, c’est-à-dire les données accumulées de milliards de personnes ? Seuls à maitriser les machines, les plateformes logicielles, les intelligences et les compétences pour en profiter, mais aussi la richesse ? Devront-ils muter car challengés plus ou moins fortement par des nouveaux entrants et/ou des acteurs existants ?

Est-ce que des grands groupes, des entreprises et de nombreux emplois disparaitront ? Est-ce que des secteurs entiers connaitront le sort de la sidérurgie ? Est-ce que d’autres émergeront ? Est-ce que des millions de startups se créeront dans le monde ? Est-ce que le travail en freelance se développera ?

Nous ne sommes qu’au tout début du changement. On peut souhaiter, comme Woody Allen : « Arrêtez l’histoire, je veux descendre ». Ou suivre l’idée de Michel Serres qui nous recommande « Ne regrettez pas le monde d’hier ! ». Celui qui vient, qui est déjà là, est ouvert, imprévisible. Une nouvelle humanité se lève : il faut tout réinventer. Ce XXIe siècle qui vient d’atteindre sa majorité s’annonce passionnant.

– Hi, cKiou est d’accord avec toi, ce siècle s’annonce passionnant ! Il faut espérer que grâce à toi, Marie-Odile, tous les dirigeants d’entreprise vont comprendre l’intérêt qu’ils ont à engager leur transformation numérique. En tout cas, cKiou, elle, ne veut pas arrêter l’histoire !

 

Pour ne pas manquer les prochains apprentissages de cKiou :

(les adresses e-mails ne sont ni affichées ni cédées à des tiers)